Les noces de Cana de Véronèse

Publié le par Yan Chevallier

http://www.ac-grenoble.fr/college/peranche/artpla/QCM%20Hot%20Potatoes/perspective/Veronese_The_Marriage_at_Cana.jpg

Paolo caliari, dit Veronese, les noces de Cana, 1563, huile sur toile, 677 x 994 cm. Peint pour orner le mur du réfectoire du monastère bénédictin de San Giorgio Maggiore à Venise.

 

Paradoxe d'un tableau qui séduit aujourd'hui par son faste, l'exubérance et la diversité de ses figures, apparaissant peu en phase avec les valeurs de ses destinataires, des moines bénédictins ayant fait le choix de se retirer du monde et de vivre dans le travail et la prière. On résoud d'ordinaire le paradoxe en évoquant l'audace, la liberté du peintre, qui se préoccuperait plus de sa liberté d'artiste, de ses inventions, de sa volonté de rendre compte du faste de son époque que de sa commande. On évoque aussi, sans trop savoir, la licence des moeurs rêgnant dans certains monastères vénitiens. Cependant, ce tableau n'a pas été critiqué d'un point de vue théologique, ni refusé par les moines. Nous avons donc affaire à une oeuvre capable de satisfaire des attentes, des regards très différents, à plus de quatre siècles d'intervalle. Comment ces différentes attentes sont-elles en même temps comblées ?

 

La gigantesque toile que Véronèse réalise en un an à l'aide de son atelier est une commande de la communauté bénédictine du monastère de San Giorgio Maggiore, un important monastère situé juste en face du palais ducal de Venise, dont les bâtiments sont alors en train d'être complêtement reconstruits sous la direction de Palladio. Elle doit occuper la totalité du mur du réfectoire des moines, d'ou le thème retenu, ainsi que la taille gigantesque de la toile. La commande fixe tous ces points ; elle précise aussi que le peintre pourra représenter autant de personnages qu'il est possible d'en mettre. Le tableau remplit la fonction d'une fresque mais sera réalisée à l'huile sur toile, du fait des contraintes d'humidité du lieu. Le peintre décide néanmoins de réaliser l'oeuvre directement sur le lieu de son exposition pour éviter de la déplacer. L'immense peinture sera pourtant déplacée en 1797 quand les armées françaises qui occupent Venise décident de l'envoyer à Paris comme prise de guerre. Le tableau exposé au Louvre ne sera pas rendu en 1815. La toile subit une grande et spectaculaire restauration de 1990 à 1992. La fondation Cini qui gère actuellement le monastère souhaitait récupérer la toile mais se résoud à faire faire un fac simile exposé in situ depuis l'été 2009 et présenté avec une grande scénographie explicative de Peter Greenaway.

 

   Les noces de Cana, c'est d'abord une grande profusion de personnages : 132 figures humaines, parmi lesquelles six musiciens et trois bouffons chargés d'animer la fête, une multitude de serviteurs parmi lesquels on peut distinguer trois noirs (l'esclavage est encore présent à Venise au XVIe siècle). On peut y ajouter cinq chiens, un chat et un perroquet. La diversité des postures et des tissus, l'entrelacement, la superposition des figures dont on distingue parfois mal la fonction dans la scène, le fait que les personnages du bord soient coupés, ce qui suggère que la foule déborde du cadre du tableau, tout le dispositif fait que l'oeil se perd avec délice dans cette fête bigarrée dont l'ordonnancement n'apparait que peu à peu.

 

   C'est un festin de mariage. Les convives sont répartis le long d'une grande table en U, uniquement sur le côté extérieur. Une très nombreuse domesticité s'affaire devant et derrière la table, enlevant des plats, en déposant de nouveaux garnis, servant à boire. Nous sommes sans doute lors d'un entremets. Entre deux services de viandes (le prochain est en train d'être disposé dans les assiettes à l'étage supérieur), on offre des confiseries. Le tableau montre le mode de vie ostentatoire du patriciat vénitien. C'est pour nous aujourd'hui un document sur l'histoire des manières de table et on y repère par exemple un des premiers usages de la fourchette.

 

   Les serviteurs quittent l'espace de la fête par deux escaliers latéraux qui leur permettent de rejoindre une terrasse surélevée occupant tout le deuxième plan, le barrant même avec sa balustrade monumentale. C'est là que l'on apprête les mets. A gauche, le dressoir présentant la vaisselle d'argent se devine derrière une colonnade. A droite, des serviteurs, descendant probablement des cuisines par un escalier (à Venise, les cuisines sont traditionnellement disposées dans les derniers étages des palais de l'aristocratie) apportent différents plats, notamment des carcasses d'animaux cuits. Au centre, on procède à la découpe de ces viandes et on les dispose dans les assiettes.

 

   Au milieu de la table en U, six musiciens ont pris place. Ils jouent essentiellement d'instruments à corde, violes de gambe, violons, contrebasse. Deux musiciens du fond jouent d'instruments à vent, une flûte et une sorte de trompette. Derrière eux, on distingue encore un bouffon. Au milieu des musiciens, une table recouverte d'un brocard d'or sur fond vert. Sur la table, des livrets ouverts (sans doute les partitions des musiciens), la boite noire d'un instrument et un sablier.

 

   Les divers personnages présents sont habillés de tissus précieux, souvent ornés de bijoux . Leurs vêtements sont ceux qu'on peut porter à Venise à la fin du XVIe siècle, mais pas seulement. De nombreux convives ou serviteurs arborent des turbans évoquant l'Orient. La scène est censée se passer dans la Palestine alors occupée par les Turcs, ce qui justifie cet accoutrement. Les personnages bibliques sont eux vêtus à l'antique, mais cela ne les singularise pas au premier coup d'oeil.

 

   La scène semble se dérouler à ciel ouvert mais dans un espace architectural très riche, comme si nous étions dans une rue bordée de palais d'un style imitant l'Antiquité, c'est à dire le comble de la modernité en 1563. N'oublions pas que par son milieu familial, Véronèse est sensibilisé à l'architecture. N'oublions pas non plus que c'est le grand Palladio qui dirige la construction du monastère de San Giorgio. Les façades représentées par le peintre semblent d'ailleurs s'inspirer des plus récentes constructions du maître. La disposition des façade mérite qu'on s'y attarde. Celles disposées en vis-à-vis sont similaires et on a ainsi, près de nous une colonnade dorique toscane avec son architrave, surmontée d'une balustrade. Plus loin, nous avons deux colonnades corinthiennes avec deux colonnes en avancée ; plus loin encore, deux sortes de temples avec colonnade ionique composite et fronton. Dans le fond, à droite uniquement, une tour. Les batiments sont remplis de vie ; des personnages sont juchés sur leurs hauteurs pour pouvoir regarder la noce.

 

   Les parties droite et gauche de la noce ne sont pas similaires; L'éclairage vient de la droite en avant du tableau; De ce fait, la partie gauche est beaucoup plus claire. C'est dans cette partie que l'on rencontre les rares femmes attablées, cinq en tout en comptant la mariée et la Vierge. A part cette dernière, ce sont toutes de jeunes femmes blondes arborant de riches bijoux. Quelques hommes aussi arborent des pierreries, de ce côté-là. Et puis, c'est là aussi quu'on a dressé la présentoir permettant de montrer la vaisselle d'argent. La partie droite du tableau est à l'inverse plongée dans une sorte de pénombre. Les vêtements y sont moins brillants, les convives, tous des hommes semblent plus souvent âgés.

 

Des critiques ont essayé depuis longtemps d'identifier les personnages, qui seraient des célébrités du temps : des personnages politiques à  gauche(François Ier, Charles Quint, Soliman le magnifique, des personnalités mondaines vénitiennes), des religieux à droite (notamment le nouvel abbé de la communauté), des peintres (Véronèse, Tintoret, Titien) en lieu et place des musiciens, l'Arétin ou Palladio en maître de cérémonie. Ces hypothèses reposent sur de vagues ressemblances, elles ne sont pas très étayées à vrai dire. Elles ne transforment pas le propos du tableau et ne permettent en rien d'améliorer sa lecture. Elles indiquent que très rapidement on estime qu'une lecture littérale de l'événement-titre semble insuffisante. Elle montre aussi que l'on pense très tôt que l'oeuvre porte essentiellementt témoignage de son époque, et que son contenu religieux semble s'apparenter à un prétexte.

 

   Les deux mariés sont placés à l'extrême gauche. Leur emplacement est mis en valeur par la lumière qu'y dirige le peintre. Cette place ne leur permet cependant pas de présider le repas, à moins qu'on suppose une autre table similaire disposée face à la première, donc devant l'espace du tableau. Le tableau décorant le réfectoire d'un monastère, cette disposition n'est pas a priori absurde. Au centre de la table, on trouve le Christ, qu'on ne découvre pas tout de suite mais dont la figure s'impose peu à peu à nous. Jésus n'est qu'un invité parmi d'autres à cette noce et n'a donc pas à occuper une place de choix. C'est le regard rétrospectif du chrétien qui en fait le centre d'intérêt de cet épisode de la Bible. Ce n'est que dans une perspective chrétienne que Jésus peut devenir le point focal du tableau. C'est cette perspective que nous allons maintenant étudier.

 

Le texte de l'évangile de Jean y ajouter la référence au livre de l'Arétin

 

La scène biblique et les personnes impliquées peu de cas fait de ceux qui s'arrêtent au miracle et ne remontent pas jusqu'à Jésus les chiens, les imbéciles 

 

les quelques personnes qui écoutent Jesus la femme à droite qui alerte les hommes en dessous qui symbolisent les moines face à la noce précieuse première action du ministère de jesus

 

   La plupart des commentaires de l'oeuvre signalent que celle-ci comporte une double perspective. En effet, on peut identifier deux points de fuite selon qu'on étudie le dessin des bâtiments surtout dans la partie haute de l'oeuvre, ou la table et le sol dans la partie basse. Cette double focalisation de l'espace peut s'expliquer de différente façon. Les lignes de construction s'interpénétrant, le peintre peut vouloir écraser par cet artifice la profondeur de son tableau, éviter de porter le regard au loin pour le concentrer dans les premiers plans du tableau. Véronèse cherche aussi sans doute à résoudre un autre problème qui est, avec un seul point focal situé assez bas, d'avoir une vision trop rasante de la table. L'accumulation des personnages montre déjà assez à quel point l'espace est comprimé ; il était important de « redresser » la table pour mieux la percevoir. Véronèse est passé maître dans les peintures de plafond qui nécessitent des jeux de perspective complexes pour tenir compte de  la vision particulière qu'en ont les spectateurs.  Il utilise ici ses compétences pour une peinture murale, en y ajoutant

 

Il est très vraisemblable que dans un premier temps, Véronèse a mis en place un point de fuite situé à la hauteur de la tête du christ. Le point de fuite est un élément de la constructuion des oeuvres qui est traditionnellement associé au Christ par les peintres. En effet, le point de fuite est une impossibilité rationnelle, puisque c'est le lieu où se coupent des droites parallèles. Et pourtant, nous ne pouvons que constater par nos sens l'existence de ce point. De même, notre raison se refuse à accepter la naissance miraculeuse de Jésus, son statut divin et ses miracles. Pourtant la peinture nous montre tout cela et, (si l'on a la foi bien sûr) nous l'acceptons. Ayant décidé de « redresser » la table, le peintre crée un autre point focal plus haut, dans le ciel. Ce deuxième point reste associé au Christ mais pointe sa réalité spirituelle, son statut divin. Le christ est en même temps homme et dieu. Ainsi la double focalisation acquiert une justification théologique puissante. Mais ce n'est pas tout. Le point central du tableau, situé juste entre les deux point focaux, montre une scène de découpe de viande qui fait penser à un sacrifice, et précisément au sacrifice de l'agneau. Ce symbole est aussi traditionnellement associé au Christ et évoque son sacrifice, sa mort sur la croix pour sauver les hommes. C'est à la fois le point central de la foi chrétienne et du tableau. De même, c'est le point où les natures humaines et divines du Christ se séparent.

 

   Une outre noire disposée au pied du boucher sert peut être à recueillir le sang de l'animal. Par ce détail, nous pouvons faire un lien entre cette scène centrale et le vin qui est le thème principal du tableau.  C'est le mystère de l'eucharistie qui est en fait ici exposé par la liaison entre le sang du sacrifice du christ et le vin que celui-ci offre aux convives. 

 

 

le sens de ce qui est sur la ligne sous jesus le fou se détourne de jesus pour écouter la musique, sur la table la boite noire cercueil, le sablier vanité

 

le deuil déjà au milieu de la fête (la vierge, les bucrânes...)

 

l'architecture d'église nous sommes dans une église l'iconostase, le jubé, le plan de san giorgio

l'importance accordée à l'eucharistie depuis Trente dans la célébration équivalence sang vin,

passage de la purification juive par l'eau à la purification chrétienne par le sacrifice de jésus

 

Très peu de personnes regardent le Christ qui vient de réaliser son premier miracle. On peut y compter sa mère et un convive à la droite de celle-ci qu'on identifie traditionnellement à Saint Pierre . A la gauche du Christ, trois personnes assises le regardent. On les identifie aussi traditionnellement avec des disciples sur la foi de leurs vêtements à l'Antique. A la droite de ces trois hommes un serviteur qui a l'air très jeune regarde aussi Jésus ainsi qu'un homme vétu à l'orientale regardant la scène depuis la balustrade centrale. Cela fait sept personnes en tout, et seulement deux qui n'appartiennent pas au cercle rapproché de Jésus.

 

   Parmi les rares personnes qui prêtent attention à Jésus, nous devons aussi remarquer une femme qui observe la scène depuis une balustrade en surplomb dans le coin supérieur droit du tableau. Cette femme montre la figure du Christ et semble chercher à attirer l'attention sur lui. Son action ne rencontre pas un très grand écho : deux hommes situés sous elle lèvent la tête dans sa direction. En face, un homme à la peau sombre et à l'habit vert prend à part un autre homme et semble lui montrer du doigt cette femme aux agissements étranges. Cette mystérieuse figure féminine, la seule avec celle de Marie et les quatre femmes richement vêtues dans la partie gauche du tableau peut symboliser plusieurs choses. Si l'on retient ses actions et sa localisation, on peut penser au prêtre en chaire qui par le sermon ou l'homélie oriente le simple fidèle, lui indiquant le sens caché des choses et lui montrant la direction à suivre. Plus généralement, et dans la mesure où c'est une figure féminine, on peut y voir une représentation de l'Eglise Universelle et de son rôle. Grâce à son action, le nombre de personnes sensibilisées à l'action de Jésus monte à douze, ce qui reste très peu si l'on pense aux 132 convives. Singulièrement, un homme, peut être un moine, placé exactement en vis-à-vis d'elle, n'agit pas, semblant se focaliser sur le miracle. Il est symptomatiquement associé à un chien.

 

Parler de ceux qui ne prêtent pas attention au christ   le fou qui se détourne du christ    la foule qui l'ignore, qui reste à la surface des choses, qui ne s'intéresse quà l'aspect matériel de la transformation et pas au symbole spirituel qui est derrière ceux qui restent à la surface du miracle peut être les protestants contexte du concile de trente de la prise de position de l'Eglise catholique en faveur de la présence réelle, dans la remise en avant de l'eucharistie et dans la pratique du sermon en chaire

 

A la fin de cette étude, la foule bigarrée, animée et bruyante que nous voyions au début est devenue étrangement silencieuse. Son agitation ne produit plus qu'un écho assourdi et comme lointain; Par un travail méditatif de décryptage de la toile, nous sommes parvenus à percevoir toute une organisation derrière ce monde qui semblait vivant mais un peu vain ; des éléments pourtant présents dès le début ont fini par apparaître puis par s'imposer à notre perception. Par le jeu de l'analyse du tableau nous avons pour ainsi dire reproduit la démarche du moine qui cherche à se soustraire à l'agitation du monde pour

 

tableau pas inquiété par l'inquisition  car a du sens de manière très précise difficulté de la pastorale, plus difficile au riches encore, symbole de la messe, discours en chaire, le sermon, et l'eucharistie

 

contrairement au diner chez levi, moins bien ficelé.

 

En fait, les noces de Cana sont un tableau dont les différents niveaux de lecture sont voulus. Ceux-ci ne se juxtaposent pas de manière égale mais s'organisent dans une succession temporelle elle aussi organisée et voulue. Le tableau renferme une progression de lecture qui l'apparente au cinéma, ce qui peut explique l'intérêt qu'y a porté Peter Greenaway. La taille même du tableau ne permet pas une saisie immédiate et oblige à se concentrer successivement sur tel et tel aspect. Notre regard va et vient sur la toile en suivant les indications qu'y a porté le peintre. C'est le cheminement vers Dieu, le parcours initiatique d'un moine bénédictin qui est ici figuré. Au moment du repas, la règle de Saint Benoît prescit la lecture d'un chapitre de la règle et de textes bibliques. C'est dans la journée, l'occasion pour le moine de se rappeler les raisons de son engagement, cette volonté de se retrancher du monde, de s'isoler de la foule pour pouvoir avoir un accès plus véridique au divin. Ce tableau l'y aide pleinement.

Lecture moderne : témoignage historique sur la venise du XVIe siècle, sur le côté merveilleux de la scène, lecture essentiellement profane

lecture contextualisée : réservée aux moines, à visée religieuse, théologique même, reposant sur une remontée du signe (tableau, miracle, eucharistie, homélie) à l'essence du propos religieux

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G
Bonjour Madame, Monsieur, votre article est passionnant et je voudrais le citer dans ma thèse, pourriez vous me contacter s'il vous plait ?
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L
très bonne description malgré les quelques fautes
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C
<br /> les noces de Cana(fermaton.over-blog.com)<br />
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