Hubert Duprat : les larves de trichoptères

Publié le par Yan Chevallier

1. les fourreaux de larves de trichoptères

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   Oeuvre fondamentale dans le travail d'Hubert Duprat, les larves de trichoptères recèlent en germe toute l'œuvre future de l'artiste. Le principe assez simple a déjà été expliqué plus haut et je m'attarderai plutôt sur les multiples dimensions de l'œuvre.

   Les objets produits par les insectes constituent des multiples. Quand l'œuvre est achetée et exposée par des institutions, c'est un groupe d'au moins trois fourreaux qui est concerné. L'œuvre a donc une dimension multiple.

   L'œuvre ne se limite pas aux fourreaux eux-même. Au début des années '90, Hubert Duprat n'avait « produit » qu'une dizaine de fourreaux. Il n'hésitait pas à détruire des fourreaux « achevés » pour pouvoir fournir à nouveaux les insectes en matière première. La monstration du processus de fabrication est un aspect important. Pour ce faire, Hubert Duprat a fait fabriquer un aquarium placé à hauteur de vue, gardant l'eau à 4°C (une température à laquelle l'animal n'enclenche pas sa métamorphose, restant de manière stable une larve capable de fabriquer des fourreaux), le dispositif technique étant caché derrière le mur d'exposition. Le « travail » des insectes est donc aussi un aspect important de l'œuvre. A cette occasion est montré l'insecte et l'écart entre la laideur, l'aspect terne et assez quelconque de l'animal vient s'opposer à sa production brillante, colorée, chatoyante. C'est par sa capacité à agencer des éléments, à fabriquer un artefact que l'insecte nous fascine et l'aquarium réactive le vieux débat sur l'art et la nature. Les productions de la Nature sont capables de nous émerveiller, elles peuvent être qualifiées de belles. Elles ne sont pas de l'Art pour autant, n'étant pas le résultat d'une création. L'action produite par les trichoptères vient rendre plus malaisée notre capacité à trancher dans ce débat. L'animal fabrique, mais de manière instinctive, sans intention, notamment esthétique.  Cependant, les scientifiques ont mis en évidence que le choix des éléments par les insectes ne résulte pas que de facteur de proximité du matériau ou de facilité d'agencement. On a pu mettre en évidence que, notamment pour les pierres précieuses, l'animal choisit de préférence les pierres les plus brillantes sans qu'on ait pu déceler dans ce comportement une explication uniquement utilitariste. Peut-être ce choix montre-t-il que les insectes utilisent plus leur vue que leur toucher dans le choix des matériaux. S'il existe une volonté créatrice, c'est celle d'Hubert Duprat. Son intervention se limite à modifier l'environnement des animaux pour qu'ils soient en état de produire (suppression du fourreaux existant et maintien de la bête à une température basse) et pour qu'ils ne puissent utiliser que la matière première choisie par l'homme. L'œuvre est donc une réflexion sur les relations entre la Nature et l'Art. Elle travaille aussi sur la limite entre art et artisanat. L'intention première d'Hubert Duprat de faire de cette expérimentation une source de revenu, un procédé permettant d'approvisionner des artisans, une activité s'insérant dans un processus de type commercial en somme est une première manière d'aborder cet aspect de l'œuvre. La relation particulière de l'artiste qui ne prend pas en charge lui-même la réalisation mais qui la délègue est une autre entrée vers la même réflexion, avec le problème que le travail de production est ici identifié à une procédure animale, instinctive. Peut-on parler d'ouvrier-animal ?

   Si l'on élargit encore la notion d'œuvre, on peut adjoindre au résultat (les fourreaux précieux) et au procédé (l'aquarium) tout un travail de pré- et de post-production. De manière parfaitement revendiquée, Hubert Duprat s'est inspiré des recherches du grand entomologiste Jean-Henri Fabre, qui dans ses souvenirs entomologiques s'est intéressé aux insectes bâtisseurs et notamment à un proche cousin des phryganes. L'érudition encyclopédique est un aspect que l'on peut très fréquemment repérer dans l'œuvre d'Hubert Duprat, comme un soubassement pour tout son travail. Cet élément fonctionne comme une narration assez simple, qui montre l'artiste en amateur éclairé, ayant une bibliothèque très fournie et une culture d'honnête homme à l'ancienne aux centres d'intérêt et à la curiosité variés. Cet aspect est aussi nettement visible dans la « post-production ». Hubert Duprat est actuellement en train de rassembler toutes les représentations humaines de trichoptères réalisées au cours des siècles. La volonté d'exhaustivité, l'ouverture à la fois sur les oeuvres artistiques et scientifiques contribuent à relier l'œuvre de Duprat à l'univers des cabinets de curiosité où avant le XVIIIe siècle les amateurs éclairés rassemblaient des oeuvres à la fois artistiques, artisanales et des productions naturelles.

   Si l'on se penche sur l'objet-fourreau, la première impression est celle de l'émerveillement, qui résulte d'abord du caractère précieux des matériaux mis en oeuvre, de leur brillant, de leur chatoiement, en fait de tout ce qui les rapproche du bijou. Cet émerveillement vient aussi et en même temps de l'aspect « bricolé », naturel, de l'agencement des éléments et du fait que nous savons que l'objet a été réalisé par un animal. L'objet se montre comme un agrégat d'éléments collés les uns aux autres par un suc produit par l'insecte. C'est la somme des éléments et le suc collant qui crée la matière, l'objet visible. Cette interrogation sur le statut de l'objet, sur sa configuration, sa composition est un élément essentiel de l'œuvre d'Hubert Duprat. Enfin, la forme de fourreau n'est pas anodine. L'objet se présente comme un réceptacle. Il entoure un dedans qui peut perçu comme creux ou comme contenant l'insecte. Cet espace intérieur est le lieu où réside la vie, c'est là que s'accomplit la transformation, la métamorphose de la larve en insecte, c'est aussi là qu'a lieu le geste créateur; On a pu comparer la phrygane aux ouvriers qui bâtissaient les cheminées d'usine, agençant les briques en tournant sur eux-même à l'intérieur du conduit de cheminée.  Le fourreau apparaît alors comme une sorte de matrice, lieu où s'accomplit le mystère de la vie et de la création, lieu d'origine de l'œuvre de Duprat aussi.

Publié dans Hubert Duprat

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